Avez-vous déjà pensé à l’importance de la mémorisation des chemins pour une personne aveugle ?

Dans COVID-19, la dépendance envers les autres revient avec l'oubli. Dans les lignes qui suivent, nous partageons avec vous le vécu d’un jeune handicapé visuel pendant cette pandémie du coronavirus. Récit rapporté par l’alliance international pour le handicap (IDA).

Je suis Alexander Borislav, un aveugle de 26 ans qui a une formation de psychologue. Avant que le Coronavirus ne frappe mon pays, la Bulgarie, j’avais acquis de nombreux nouveaux clients et j’étais au sommet de ma carrière professionnelle. Je me suis senti très autonome dans mon travail car j’aidais les autres à répondre à leurs besoins émotionnels et mentaux.

Depuis le Coronavirus, ma vie a été chaotique et décourageante.

Le confinement de huit jours dans mon pays a eu des effets dévastateurs. Tout d’abord, j’ai été obligé de fermer mon bureau pendant deux mois et demi. Beaucoup de mes clients qui dirigeaient des entreprises ont fait faillite ; d’autres ont perdu leur emploi. Certains ne voulaient pas de ma consultation à moins de pouvoir être dans le bureau avec moi. En conséquence, de nombreux clients ont quitté mon cabinet. Si cela ne suffisait pas, les propriétaires de l’immeuble où je loue des bureaux ne me permettaient pas de retarder le paiement du loyer. J’ai donc payé le loyer et les services publics avec mes économies personnelles et avec l’argent emprunté à mes parents.

Comment cela s’est-il passé ? En Bulgarie, les petites et moyennes entreprises comme la mienne n’avaient pas droit à une aide financière si elles étaient en activité depuis moins d’un an. De plus, même si je n’avais pas de revenus pendant un mois entier, je devais quand même payer la cotisation à l’assurance maladie nationale. Heureusement, en tant que personne handicapée, je bénéficie d’une pension qui m’assure. Mais maintenant, en tant que consultant indépendant, je dois payer une deuxième assurance. Non seulement mon pays n’a pas essayé de m’aider, mais il a aussi aggravé la situation avec ses politiques rigides.

Plus frustrant encore, j’étais toujours confiné à la maison après la levée de la quarantaine pour plusieurs raisons. J’avais l’habitude de marcher partout de manière indépendante. En fait, je faisais souvent des suggestions aux amis qui avaient des cannes blanches pour améliorer leur technique et leur agilité. Mais maintenant, j’ai même oublié comment utiliser ma propre canne. Je trébuche dessus et ma prise est mauvaise, donc je ne me sens pas en confiance pour marcher tout seul. J’ai besoin de réapprendre à utiliser ma propre canne blanche, comme si je recommençais à zéro. De plus, ma mobilité a changé de façon radicale. Je ne peux plus marcher en toute sécurité.

Plus grave encore, j’ai oublié les chemins que je connaissais intuitivement avant la pandémie. Hier, j’ai dû aller chercher une veste chez le tailleur, mais je n’ai pas trouvé l’enseigne du magasin. J’ai donc fini par marcher dans la rue pendant un long moment dans la mauvaise direction. J’ai oublié tous les chemins que j’avais suivis sans effort. J’ai besoin de les réapprendre avec quelqu’un d’autre car je ne me sens pas en sécurité en marchant seule.

Avec tout ce stress, si je suis oisif ou si j’utilise l’internet ou les médias, je me mets en colère. En raison de mon manque de mobilité, je me sens très dépendant des autres. Cela me frustre et me décourage. Comme je quitte à peine le domicile de mes parents, l’isolement me rend agité et j’ai du mal à dormir.

Mais maintenant, ma vie s’améliore peu à peu à mesure que les choses s’ouvrent, car j’ai trouvé de l’aide à plusieurs endroits.

Avec l’ouverture, j’ai trouvé de nouvelles voies pour retrouver ma vie.

Pendant toute la durée du Coronavirus, j’ai vécu en sécurité chez mes parents. Maintenant, je peux faire beaucoup plus de choses en ligne pour mon travail et mes besoins personnels que jamais auparavant, ce qui m’aide à surmonter mes difficultés de mobilité. Mon pays fait preuve de discrimination à l’égard des personnes qui ne sont pas physiquement capables d’assister aux réunions des services essentiels pour les personnes handicapées en ne leur donnant pas un accès approprié ou en utilisant une communication inclusive. Maintenant, je peux assister à beaucoup plus de réunions et de projets en ligne.

Mais une voie inattendue que le virus a ouverte devant moi est l’art. Ma passion, c’est d’écrire de la poésie. En réponse au virus, j’ai écrit un poème et j’ai mis au défi un ami artiste de faire de même. Bientôt, d’autres amis qui sont écrivains, musiciens et acteurs ont suivi en créant des œuvres d’art. Avec l’un de mes poèmes, j’ai même gagné un prix de littérature.

Il n’a pas fallu longtemps pour que je recommence à écrire de la poésie et des pièces de théâtre après deux ans d’écriture uniquement ce qui était nécessaire à ma recherche doctorale. Parce que l’art m’a aidé, j’ai même lancé une initiative de poésie d’urgence, un canal Tiktok, qui a vraiment amélioré mes compétences de photographe et de vidéographe aveugle. Heureusement, pendant près de trois mois, ma chaîne Tiktok a eu 5 299 adeptes. Maintenant, je suis prêt à lancer une deuxième chaîne exclusivement en anglais. J’ai même commencé une formation d’écrivain afin de pouvoir mieux faire face aux pressions de l’isolement et aux défis de mon travail. L’art m’a sauvé en me donnant une voie vers l’inspiration et l’optimisme.

Expliquer aux gens comment j’ai fait cela m’a donné confiance en moi, tout comme parler de ma cécité. Avant, je n’aimais pas parler de mon handicap. Aujourd’hui, je suis fier de ma capacité à expliquer mon handicap aux autres. Mon succès m’a donné confiance, si bien que maintenant je fais beaucoup plus attention à ce que je mange et à la quantité d’exercice que je fais, ce que j’ai arrêté de faire il y a plusieurs années. En général, je me sens plus détendue et en meilleure santé.

Mais je me sens au mieux de ma forme lorsque je travaille en tant que psychologue.

Pour plus d’informations visitez le site de l’IDA

Repris par Brice P. BANDO, Point focal PROADIPH-Togo